La Guerinière

Découvrez ce grand Ecuyer, et des extraits de son oeuvre: "École de cavalerie".

Biographie
Epaule en dedans
Croupe au mur
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Biographie
LA GUÉRINIÈRE (François de) 1688-1751

François Robichon de La Guérinière, issu d'une vieille famille vosgienne de gentils-hommes verriers, est né à Essay, près d'Alençon, où le docteur L. Guyot a trouvé son acte de baptême, daté du 8 mai 1688. Son père était Pierre Robichon, seigneur de La Guérinière, officier de la duchesse d'Orléans et avocat au siège d'Essay.
François passa sa jeunesse en Normandie. Son frère aîné, Pierre des Brosses de La Guérinière, dirigea l'Académie d'équitation de Caen. Comme le cadet mourut célibataire et que l'aîné n'eut qu'une fille (qui épousa un autre écuyer de valeur, M. de La Pleignière), il n'y a pas de descendants directs portant l'un des noms les plus célèbres de l'histoire équestre. Mais il existe toujours des Robichon de La Guérinière, descendants d'une autre branche de cette famille.
En 1715, nanti de son brevet d'écuyer du roi, François de La Guérinière vient à Paris diriger une académie d'équitation dont le manège était installé dans un ancien jeu de paume sis dans ce qui était alors la rue des Francs-Bourgeois-Saint-Michel. L'emplace-ment de ce manège correspond à l'actuelle rue de Médicis, à la hauteur du no 3, mordant sur le jardin, alors moins étendu, immédiatement au nord de la fontaine Médicis. C'est là qu'en quinze ans La Guérinière acquit sa réputation d'écuyer et de professeur hors de pair qui lui valut, en I73o, d'être nommé directeur du Manège des Tuileries par le grand écuyer de France, le prince Charles de Lorraine, comte d'Armagnac.
Le Manège royal des Tuileries, gloire de l'école française autant que la Grande Écurie, se dressait sur l'emplacement de l'actuelle rue de Rivoli, à l'aboutissement de la rue de Castiglione. Il jouxtait le jardin et ouvrait sur une longue carrière comme on les aimait alors et qui s'étendait jusqu'à l'angle du château (aujourd'hui place des Pyramides). Ce fut probablement ce dégagement unique qui donna au Premier consul l'idée de sa rue de Rivoli, dont le percement entraîna, en 1803-1804, la démolition du Manège, après que celui-ci eut pris une tout autre renommée en abritant les assemblées révolutionnaires. (Louis XVI y fut jugé.) Deux plaques en rappellent l'existence : une & politique 8 posée au début du siècle contre la grille des Tuileries, une &équestre 8 posée en 1951 par le Cercle hippique de France, pour le deuxième centenaire de la mort de François de La Guérinière.
La renommée de celui-ci était devenue internationale. Les élèves arrivaient de toute l'Europe, et l'on sait que son École de cavalerie est toujours considérée comme la & Bible équestre 8 par les cavaliers de l'Europe centrale.
La Guérinière mourut le 2 juillet 1751. Une tradition contestée le fait mourir à Versailles; ce fut plus probablement aux Tuileries, et il dut être inhumé à Saint-Roch, dont la crypte contient environ deux cents pierres tombales, dont celle du grand écuyer de France. Les archives départementales, brûlées par la Commune en 1871, nous auraient sans doute renseignés sur ce point.
L' Auvre de La Guérinière mériterait une thèse, tant par son contenu que par son expression, dans l'admirable langue française du XVIIIe siècle que cet écuyer possédait remarquablement. L'ordonnance des chapitres, le développement de la doctrine et de ses applications, les définitions et les recettes charment le lecteur par leur clarté et par l'aisance de la phrase.
Le cavalier y trouve tout ce qu'il lui est possible d'acquérir seul, à condition qu'il veuille bien lire attentivement et qu'il ne soit plus tout à fait un débutant. L'écuyer s'y retrempe dans une révision des connaissances qui se place à égale distance du dépouille-ment attique de Xénophon et de la scrupuleuse minutie germanique de Steinbrecht. La Guérinière, c'est le triomphe du classicisme français.
François de La Guérinière contribua largement à l , Auvre équestre, non seulement comme dresseur, comme professeur et comme écrivain, mais aussi comme inventeur ou tout au moins comme apologiste de deux leçons capitales dans l'assouplissement et la mise en condition du cheval : l'épaule en dedans et la descente de main. Il est possible que M. de Vendeuil, & l'illustre maître 8 de La Guérinière, ait inauguré l'épaule en dedans, mais c'est son élève, devenu célèbre, qui l'a dégagée et formulée. Car ce n'est pas tout que d'avoir des idées, encore faut-il les mettre en Auvre et transmettre aux autres la façon de les utiliser.
La leçon de l'épaule en dedans, & qui est la plus difficile et la plus utile de toutes celles que l'on doit employer pour assouplir les chevaux 8, succède, avec La Guérinière, au travail sur le cercle et sur deux pistes de La Broue et de Newcastle, ce dernier reconnais-sant lui-même que, dans le cercle la tête en dedans, & les parties de devant sont plus sujettes et plus contraintes que celles de derrière et que cette leçon met un cheval sur le devant 8.
C'est pourquoi La Guérinière a cherché et trouvé & de tourner la tête et les épaules (du cheval) un peu en dedans vers le centre du manège, comme si effectivement on voulait le tourner tout-à-fait, et, lorsqu'il est dans cette posture oblique et circulaire, il faut le faire marcher en avant le long du mur, en l ,aidant de la rêne et de la jambe de dedans : ce qu'il ne peut absolument faire dans cette attitude sans croiser ni chevaler la jambe de devant par-dessus celle de dehors, et de même la jambe de derrière de dedans par-dessus celle de derrière de dehors... 8.
& Cette leçon, ajoute La Guérinière, produit tant de bons effets à la fois que je la regarde comme la première et la dernière de toutes celles qu'on peut donner au cheval pour lui faire prendre une entière souplesse et une parfaite liberté dans toutes ses parties. Cela est si vrai, qu'un cheval qui aura été assoupli suivant ce principe et gâté après ou à l'École, ou par quelque ignorant, si un homme de cheval le remet pendant quelques jours à cette leçon, il le trouvera aussi souple et aussi aisé qu'auparavant. 8
La Guérinière fait travailler l'épaule en dedans aux trois allures. Le travail au galop plié est très délicat et ne peut être demandé qu'à des chevaux & chevalant 8 déjà haut. La Guérinière fait galoper le cheval l'épaule en dedans & pour lui apprendre à approcher la jambe de derrière de dedans de celle du dehors et lui faire baisser la hanche, et, lorsqu'il a été assoupli et rompu dans cette posture, il lui est aisé de galoper ensuite les hanches unies et sur la ligne des épaules, en sorte que le derrière chasse le devant, ce qui est le vrai et beau galop 8.
Quant à la descente de main, & une aide des plus subtiles et des plus utiles de la cava-lerie 8, c'est une façon de rendre la main en prenant les rênes avec la main droite au-dessus de la main gauche, & et en lâchant un peu les rênes dans la main gauche, on fait passer le sentiment du mors dans la main droite, et enfin en quittant tout-à-fait les rênes qui étaient dans la main gauche, on baisse la main droite sur le cou du cheval 8. Le cheval se trouve entièrement libre, à condition qu'il ne soit pas sur les épaules, mais plutôt après avoir marqué un demi-arrêt et lorsqu'on sent qu'il plie les hanches, demeurant ainsi léger à la main.
Comme tous les classiques, La Guérinière connut - en France, du moins - un relatif abandon aux beaux temps du romantisme équestre et de ses querelles. Baucher lui reproche de manquer parfois de précision. Bohan lui avait adressé le reproche contraire. Puis la synthèse s'établit au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, sentie par le comman-dant Guérin, exprimée par le général L'Hotte.
La Guérinière a laissé un ouvrage écrit, École de cavalerie, dont un abrégé remar-quable, Eléments de cavalerie, est précieux pour l'amateur. Les deux livres ont été réédités maintes fois et ont fait l'objet de traductions à l'étranger. Les célèbres planches de Parrocel en augmentent encore la valeur.
On peut terminer sur quelques lignes de François de La Guérinière où chaque terme est exactement pesé dans l'harmonieux équilibre de la pensée : & La grâce à cheval consiste en une posture droite et libre, qui vient du contrepoids du corps bien observé ; en sorte que dans tous les mouvements que fait le cheval, le cavalier, sans déranger son assiette, conserve autant qu'il le peut, dans un juste équilibre, cet air d'aisance et de liberté, qui forme ce qu'on appelle le bel homme de cheval. 8

Écrits de François de La Guérinière :
. École de cavalerie, Paris, 1729-1730 pour le tome 1, 1731 pour le tome II.
. Démens de cavalerie, Paris, 1740; réédition 1741, 1754, 1768, 1791.


D'après "Les Maîtres de l'Auvre équestre" d' André MONTEILHET.

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Epaule en dedans

Nous avons dit ci-devant, que le trot est le fondement de la première souplesse et de la première obéissance que l'on doit donner aux Chevaux ; et ce principe est généralement reçu de tous les habiles Écuyers; mais ce même trot, soit sur une ligne droite, soit sur des cercles, ne donne à l'épaule et à la jambe du Cheval qu'un mouvement en avant lorsqu'il marche sur la ligne droite, et un peu circulaire de la jambe et de l'épaule de dehors lorsqu'il va sur le cercle ; mais il ne donne pas une démarche assez croisée d'une jambe par-dessus l'autre, qui est l'action que doit faire un Cheval dressé, connaissant les talons, c'est-à-dire qui va librement de côté aux deux mains.
Pour bien concevoir ceci, il faut faire attention que les épaules et les jambes d'un Cheval ont quatre mouvements. Le premier est celui de l'épaule en avant, quand il marche droit devant lui. Le deuxième mouvement est celui de l'épaule en arrière, quand il recule. Le troisième mouvement, c'est lorsqu'il lève la jambe et l'épaule dans une place, sans avancer ni reculer, qui est l'action du piaffer ; et le quatrième est le mouvement circulaire et croisé que doivent faire l'épaule et la jambe du Cheval lorsqu'il tourne étroit ou qu'il va de côté. Les trois premiers mouvements s'acquièrent facilement par le trot, l'arrêt et le reculer ; mais le dernier mouvement est le plus difficile, parce que dans cette action le Cheval étant obligé de croiser et de chevaler la jambe de dehors par-dessus celle de dedans, si dans ce mouvement le passage de la jambe n'est pas avancé ni circulaire, le Cheval s'attrape la jambe qui pose à terre et sur laquelle il s'appuie, et la douleur du coup peut lui donner une atteinte, ou du moins lui faire faire une fausse position : ce qui arrive souvent aux Chevaux qui ne sont pas assez souples des épaules. La difficulté de trouver des règles certaines, pour donner à l'épaule et à la jambe la facilité de ce mouvement circulaire d'une jambe par-dessus l'autre, a toujours embarrassé les Écuyers parce que, sans cette perfection, un Cheval ne peut tourner facilement ni fuir les talons de bonne grâce.
Afin de bien approfondir la leçon de l'épaule en dedans, qui est la plus difficile et la plus utile de toutes celles qu'on doit employer pour assouplir les Chevaux, il faut examiner ce qu'ont dit M. de la Broue et M. le Duc de Newcastle, au sujet du cercle qui, selon le dernier, est le seul moyen d'assouplir parfaitement les épaules d'un Cheval.
M. de la Broue dit & que toutes les humeurs et complexions des Chevaux ne sont pas propres à cette sujétion extraordinaire, de toujours tourner sur des cercles pour les assouplir ; et leurs forces n'étant pas capables de fournir tant de tours tout d'une haleine, ils se rebutent et se raidissent de plus en plus, au lieu de s'assouplir 8.
M. le Duc de Newcastle s'explique ainsi :
& La tête dedans, la croupe dehors sur un cercle met d'abord un Cheval sur le devant, il prend de l'appui et s'assouplit extrêmement les épaules, etc.
& Trotter et galoper la tête dedans, la croupe dehors, fait aller tout le devant vers le centre et le derrière s'en éloigne, étant plus pressé des épaules que de la croupe.
& Tout ce qui chemine sur un grand cercle travaille davantage, parce qu'il fait plus de chemin, que tout ce qui chemine sur un plus petit cercle ayant plus de mouvements à faire, et il faut que les jambes soient plus en liberté ; les autres sont plus contraintes et sujettes dans le petit cercle, parce qu'elles portent tout le corps, et celles qui font le plus grand cercle sont plus longtemps en l'air qu'elles.
& L'épaule ne peut s'assouplir si la jambe de derrière de dedans n'est avancée et approchée, en travaillant de la jambe de derrière de dehors. 8
L'on voit par le propre raisonnement de ces deux grands Hommes, que l'un et l'autre ont admis le cercle ; mais M. de la Broue ne s'en sert pas toujours, et il préfère souvent le carré. Pour M. le Duc de Newcastle, dont le cercle est la leçon favorite, il convient lui-même des inconvénients qui s'y trouvent quand il dit que dans le cercle la tête dedans, la croupe dehors, les parties de devant sont plus sujettes et plus contraintes que celles de derrière, et que cette leçon met un Cheval sur le devant.
Cet aveu que l'expérience confirme, prouve évidemment que le cercle n'est pas le vrai moyen d'assouplir parfaitement les épaules, puisqu'une chose contrainte et appesantie par son propre poids ne peut être légère ; mais une grande vérité que cet illustre auteur admet, c'est que l'épaule ne peut s'assouplir si la jambe de derrière de dedans n'est avancée et approchée en marchant de la jambe de derrière de dehors ; et c'est cette judicieuse remarque qui m'a fait chercher et trouver la leçon de l'épaule en dedans dont nous allons donner l'explication.
Lors donc qu'un Cheval saura trotter librement aux deux mains sur le cercle et sur la ligne droite, qu'il saura sur les mêmes lignes marcher un pas tranquille et égal, et qu'on l'aura accoutumé à former des arrêts et demi-arrêts, et à porter la tête en dedans, il faudra alors le mener au petit pas lent et peu raccourci le long de la muraille et le placer de manière que les hanches décrivent une ligne, et les épaules une autre. La ligne des hanches doit être près de la muraille, et celle des épaules détachée et éloignée du mur environ un pied et demi ou deux, en le tenant plié à la main où il va. C'est-à-dire, pour m'expliquer plus familièrement, qu'au lieu de tenir un Cheval tout à fait droit d'épaules et de hanches sur la ligne droite le long du mur, il faut lui tourner la tête et les épaules un peu en dedans vers le centre du manège, comme si, effectivement, on voulait le tourner tout à fait, et lorsqu'il est dans cette posture oblique et circulaire, il faut le faire marcher en avant le long du mur en l'aidant de la rêne et de la jambe de dedans, ce qu'il ne peut absolument faire dans cette attitude sans croiser ni chevaler la jambe de devant de dedans par-dessus celle de dehors, et de même la jambe de derrière de dedans par-dessus celle de derrière de dehors, comme il est aisé de le voir dans la figure de l'épaule en dedans, qui est au commencement de ce chapitre et dans le plan de terre de la même leçon, qui rendront la chose encore plus sensible.
Cette leçon produit tant de bons effets à la fois que je la regarde comme la première et la dernière de toutes celles qu'on peut donner au Cheval, pour lui faire prendre une entière souplesse et une parfaite liberté dans toutes ses parties. Cela est si vrai, qu'un Cheval qui aura été assoupli suivant ce principe, et gâté après ou à l'École, ou par quelque ignorant, si un Homme de Cheval le remet pendant quelques jours à cette leçon, il le trouvera aussi souple et aussi aisé qu'auparavant.
Premièrement, cette leçon assouplit les épaules, parce que la jambe de devant de dedans, croisant et Chevalant à chaque pas que le Cheval fait dans cette attitude, en avant par-dessus celle de dehors, et le pied de dedans allant se poser au-dessus du pied de dehors, et sur la ligne de ce même pied, le mouvement auquel l'épaule est obligée dans cette action, fait agir nécessairement les ressorts de cette partie, ce qui est facile à concevoir.
2° L'épaule en dedans prépare un Cheval à se mettre sur les hanches, parce qu'à chaque pas qu'il fait dans cette posture, il porte en avant sous le ventre la jambe de derrière de dedans, et va la placer au-dessus de celle de derrière de dehors, ce qu'il ne peut faire sans baisser la hanche : il est donc toujours sur une hanche à une main, et toujours sur l'autre hanche à l'autre main, et par conséquent il apprend à plier les jarrets sous lui ; c'est ce qu'on appelle être sur les hanches.
3° Cette même leçon dispose un Cheval à fuir les talons, parce qu'à chaque mouvement, étant obligé de croiser et de passer les jambes l'une par-dessus l'autre, tant celles de devant que celles de derrière il acquiert, par là, la facilité de bien chevaler les bras et les jambes aux deux mains, ce qu'il faut qu'il fasse pour aller librement de côté. En sorte que lorsqu'on mène un Cheval l'épaule en dedans à main droite, on le prépare à fuir les talons à main gauche, parce que c'est l'épaule droite qui s'assouplit dans cette posture ; et lorsqu'on lui met l'épaule en dedans à main gauche, c'est l'épaule gauche qui s'assouplit et qui le prépare à bien passer la jambe gauche pour aller facilement de côté à main droite.
Pour changer de main dans la leçon de l'épaule en dedans : par exemple, de droite à gauche, il faut conserver le pli de la tête et du col, et en quittant le mur, faire marcher le Cheval droit d'épaules et de hanches sur une ligne oblique jusqu'à ce qu'il soit arrivé dans cette posture sur la ligne de l'autre muraille ; et là il faudra lui placer la tête gauche et les épaules en dedans, et détachées de la ligne de la muraille en l'élargissant et lui faisant croiser les jambes de dedans à cette main par-dessus celle de dehors, le long du mur, et de la même manière que nous venons de l'expliquer pour la droite.
Comme le Cheval manquera dans l'exécution des premières leçons de l'épaule en dedans, soit en mettant la croupe trop en dedans, soit, au contraire, en tournant trop les épaules en dedans et en quittant la ligne de la muraille, pour éviter la sujétion de passer et de croiser ses jambes dans une posture qui lui tient tous les muscles dans une continuelle contraction, ce qui le gêne, quand il n'y est pas accoutumé, le cercle alors doit servir de remède à ces défenses. On le mènera donc au petit pas sur un cercle large, et on lui dérobera de temps en temps des pas croisés des jambes de dedans, par-dessus celles de dehors, en sorte qu'en élargissant le cercle de plus en plus, insensiblement on arrivera sur la ligne de la muraille, et le Cheval se trouvera dans la posture de l'épaule en dedans ; et dans cette attitude on lui fera faire quelques pas en avant le long du mur ; ensuite on l'arrêtera, on lui pliera le col et la tête en faisant jouer le mors dans la bouche avec la rêne de dedans, on le flattera et on le renverra.
S'il arrive qu'un Cheval se retienne et qu'il se défende par malice, ne voulant point se rendre à la sujétion de cette leçon, il faudra la quitter pour quelque temps, et revenir au premier principe du trot étendu et hardi, tant pour la ligne droite que sur des cercles et lorsqu'il obéira, on le remettra au pas l'épaule en dedans sur la ligne de la muraille ; et s'il va bien quelques pas, il faut l'arrêter, le flatter et le descendre.
Lorsque le Cheval commencera à obéir aux deux mains à la leçon de l'épaule en dedans, on lui apprendra à bien prendre les coins, ce qui est le plus difficile de cette leçon, pour cela il faudra à chaque coin c'est-à-dire au bout de chaque ligne droite, faire entrer les épaules dans le coin, lui conservant la tête placée en dedans ; et dans le temps qu'on tourne les épaules sur l'autre ligne, il faut faire passer les hanches à leur tour dans le coin par où les épaules ont passé. C'est avec la rêne de dedans et la jambe de dedans qu'on porte le Cheval en avant dans les coins ; mais dans le temps qu'on le tourne sur l'autre ligne, il faut que ce soit avec la rêne de dehors, en portant la main en dedans, et prendre le temps qu'il ait la jambe de dedans en l'air et prête à retomber, afin qu'en tournant la main dans ce temps-là, l'épaule de dehors puisse passer par-dessus celle de dedans ; et comme l'aide de tourner est une espèce de demi-arrêt, il faut, en tournant la main, le chasser un peu en avant avec le gras de jambes. Si le Cheval refuse de passer la croupe dans les coins, en se tenant large de derrière et en se cramponnant sur la jambe de dedans (défense la plus ordinaire des Chevaux), il faudra la pincer du talon de dedans en même temps qu'on tournera les épaules sur l'autre ligne. Voilà, selon moi, ce qu'on appelle prendre les coins, et non pas comme font la plupart des Cavaliers, qui se contentent de faire entrer la tête et les épaules dans le coin et négligent d'y passer la croupe, de manière que le Cheval tourne tout d'une pièce au lieu qu'en y faisant passer les hanches après les épaules, le Cheval, dans ce passage d'épaules et de hanches, s'assouplit non seulement ces deux parties, mais encore les côtes dont la souplesse augmente beaucoup l'agilité des ressorts au reste de son corps.
Si l'on examine la structure et la mécanique du Cheval, on sera aisément persuadé de l'utilité de l'épaule en dedans ; et l'on conviendra que les raisons que j'apporte, pour autoriser ce principe ; sont tirées de la nature même, qui ne se dément jamais, quand on ne la contraint pas au-delà de ses forces. Et en même temps, si l'on fait attention à l'action des jambes du Cheval qui va sur un cercle, la tête dedans la croupe de dehors, il sera aisé de concevoir que ce sont les hanches qui acquièrent cette souplesse que l'on prétend donner aux épaules par le moyen du cercle puisqu'il est certain que la partie qui fait un plus grand mouvement est celle qui s'assouplit le plus. J'admets donc le cercle pour donner aux Chevaux la première souplesse, et aussi pour châtier et corriger ceux qui se défendent par malice, en mettant la croupe dedans, malgré le Cavalier ; mais je regarde ensuite l'épaule en dedans, comme une leçon indispensable pour achever d'assouplir les épaules et leur donner la facilité de passer librement les jambes l'une par-dessus l'autre, qui est une perfection que doivent avoir tous les Chevaux qu'on appelle bien mis et bien dressés.




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Croupe au mur

Ceux qui mettent la tête d'un Cheval vis-à-vis du mur, pour lui apprendre à aller de côté, tombent dans une erreur dont il est facile de faire voir l'abus. Cette méthode le fait plutôt aller par routine que pour la main et les jambes ; et lorsqu'on l'ôte de la muraille et qu'on veut le ranger de côté dans le milieu du manège, n'ayant plus alors d'objet qui lui fixe la vue, il n'obéit qu'imparfaitement à la main et aux jambes, qui sont les seuls guides dont on doive se servir, pour conduire un Cheval dans toutes ses allures. Un autre désordre qui naît de cette leçon, c'est qu'au lieu de passer la jambe de dehors par-dessus celle de dedans, souvent il la passe par-dessous, dans la crainte de s'attraper avec le fer la jambe qui est à terre, ou de se heurter le genou contre le mur, dans le temps qu'il lève la jambe et qu'il la porte en avant pour la passer par-dessus l'autre.
M. de la Broue est de ce sentiment, quand il conseille de ne se servir de la muraille, pour faire fuir les talons aux Chevaux, que pour ceux qui pèsent ou qui tirent à la main ; et bien loin de leur placer la tête si près du mur, il dit qu'il faut tenir le Cheval deux pas en deçà de la muraille, ce qui fait environ cinq pieds de distance de la tête du Cheval au mur.
Je ne vois donc pas pourquoi tant de Cavaliers pour faire connaître les talons à un Cheval, lui mettent la tête au mur, en le forçant d'aller de côté avec la jambe, l'éperon et même la chambrière, qu'ils font tenir par un homme à pied. Il est bien plus sensé, selon moi, pour éviter cet embarras et les désordres qui peuvent en arriver, de lui mettre la croupe au mur. Cette leçon est tirée de l'épaule en dedans.
Nous avons dit, dans le chapitre précédent, qu'en menant un Cheval l'épaule en dedans à main droite, on lui assouplissait l'épaule droite, ce qui donne la facilité à la jambe droite, lorsqu'il va de côté à main gauche, de chevaler par-dessus la jambe gauche ; et de même en le travaillant l'épaule en dedans à gauche, c'est l'épaule de ce côté qui s'assouplit et qui donne à la même jambe le mouvement qu'elle doit avoir pour chevaler librement par-dessus la droite, lorsqu'on mène un Cheval de côté à main droite. Suivant ce principe, qui est incontestable, il est aisé de convertir l'épaule en dedans en croupe au mur. On s'y prend de cette manière.
Lorsqu'un Cheval est obéissant aux deux mains à la leçon de l'épaule en dedans, et qu'il sait par conséquent passer librement les jambes de dedans par-dessus celles de dehors, il faut, en le travaillant, par exemple à droite, après l'avoir tourné dans le coin à un des bouts du manège, l'y arrêter, la croupe vis-à-vis, et environ à deux pieds de distance de la muraille, de peur qu'il ne se frotte la queue contre le mur ; et au lieu de continuer d'aller en avant, il faut le retenir de la main et le presser de la jambe gauche pour lui dérober quelque temps de côté sur le talon droit, et s'il obéit deux ou trois pas, l'arrêter et le flatter, pour lui faire connaître que c'est là ce qu'on lui demande.
Comme la nouveauté de cette leçon embarrasse un Cheval les premiers jours qu'on la lui fait pratiquer, il faut, dans les commencements, le mener les rênes séparées et très doucement, afin de pouvoir mieux retenir les épaules, et ne point chercher à le plier, mais lui donner seulement une simple détermination pour aller de côté, sans observer de justesse. Sitôt qu'il fuira la jambe deux ou trois pas sans hésiter, il faudra l'arrêter un peu de temps, le flatter et reprendre ensuite de côté, en continuant toujours de l'arrêter et de le flatter, pour le peu qu'il obéisse, jusqu'à ce qu'enfin il soit arrivé dans cette posture au bout de la ligne, le long du mur, et à l'autre coin du manège. Après l'avoir laissé reposer quelque temps dans la place où il a fini, on revient ensuite à gauche sur la même ligne, en se servant de la jambe droite pour le faire aller de côté et observer la même attention qui est de le flatter dès qu'il aura obéi trois ou quatre pas de bonne volonté, et continuer ainsi jusqu'à ce qu'il soit arrivé au coin d'où l'on est parti d'abord.
Si le Cheval refuse absolument de fuir les talons à l'une des deux mains, c'est une preuve qu'il n'a pas été assez assoupli à l'autre main. Et alors il faut le mettre l'épaule en dedans ; c'est-à-dire que si le Cheval refuse par exemple de fuir le talon gauche, la croupe au mur, qui est l'aide qu'on donne pour aller de côté à droite, il le faut remettre l'épaule en dedans à gauche, jusqu'à ce qu'il passe facilement la jambe gauche par-dessus la droite. Et afin qu'il se trouve, sans s'en apercevoir aller de côté la croupe au mur à droite, qui est la main où nous supposons qu'il est rebelle, on lui tourne la tête et les épaules de plus en plus en dedans jusqu'à ce qu'elles soient vis-à-vis de la croupe ; alors en lui plaçant la tête droite et en continuant de lui faire fuir la jambe gauche, comme s'il allait toujours, l'épaule en dedans à gauche, il se trouvera aller de côté à droite. De même si le Cheval refuse de fuir le talon droit, qui est aller de côté à gauche, il faudra le mener l'épaule en dedans à droite, et insensiblement en tournant les épaules fort en dedans, et jusqu'à ce qu'elles se trouvent vis-à-vis la croupe, le Cheval se trouvera fuir le talon et aller par conséquent de côté à main gauche.
Suivant ce que nous venons d'expliquer, il est aisé de remarquer que ce qu'on appelle épaule en dedans à une main, devient épaule de dehors lorsqu'on met la croupe au mur ; parce que la même épaule continue son mouvement, quoique le Cheval aille à l'autre main. Mais comme dans la posture de la croupe au mur, le Cheval allant de côté doit être presque droit d'épaules et de hanches, l'action de l'épaule est alors plus circulaire, et par conséquent le mouvement est plus pénible et plus difficile à faire au Cheval que celui qu'il fait l'épaule en dedans. Un peu d'attention fera aisément concevoir cette différence et prouvera en même temps évidemment, qu'un des avantages de l'épaule en dedans est d'apprendre à un Cheval à bien passer à chevaler librement ses jambes l'une par-dessus l'autre, et que c'est un remède à toutes les fautes qu'il peut faire quand on lui apprend à fuir les talons.
Lorsque le Cheval commence à obéir et à aller librement de côté aux deux mains la croupe au mur, il faut le placer dans la posture où il doit être pour fuir les talons avec grâce ; ce qui se fait en observant trois choses essentielles.
La première c'est le faire marcher les épaules avant les hanches ; autrement le mouvement circulaire de la jambe et de l'épaule de dehors, qui fait voir la grâce et la souplesse de cette partie, ne se trouverait plus. Il faut tout au moins que la moitié des épaules marche avant la croupe, en sorte que (supposant, par exemple, qu'on aille à droite) la position du pied droit de derrière soit sur la ligne du pied gauche de devant, comme on le peut voir dans le plan de terre. Car si la croupe marche avant les épaules, le Cheval est entablé, et la jambe de derrière de dedans, marchant et se plaçant plus avant que celle de devant du même côté, rend le Cheval plus large du derrière que du devant, et par conséquent sur les jarrets, car pour être sur les hanches, un Cheval, en marchant, doit être rétréci de derrière.
La seconde attention qu'on doit avoir lorsqu'un Cheval commence à aller librement de côté la croupe au mur, c'est de le plier à la main où il va. Un beau pli donne de la grâce à un Cheval, lui attire l'épaule du dehors et en rend l'action libre et avancée. Pour 1'accoutumer à se plier à la main où il va, il faut, à la fin de chaque ligne de la croupe au mur, après l'avoir arrêté, lui tirer la tète avec la rêne de dedans en faisant jouer le mors dans la bouche ; et lorsqu'il cède à ce mouvement, le flatter avec la main du côté qu'on l'a plié, on doit observer la même chose en finissant à l'autre main sur l'autre talon, et par ce moyen le Cheval prendra peu à peu l'habitude de marcher plié et de regarder son chemin en allant de côté.
La troisième chose qu'on doit encore observer dans cette leçon, c'est de faire en sorte que le Cheval décrive les deux lignes : savoir celle des épaules et celle des hanches, sans avancer ni reculer, en sorte qu'elles soient parallèles. Comme cela vient en partie du naturel du Cheval, il arrive ordinairement que ceux qui sont pesants ou qui tirent à la main, sortent de la ligne en allant trop en avant ; c'est pourquoi il faut retenir ceux-ci de la main de la bride, sans aider des jambes. Il faut, au contraire, chasser en avant ceux qui ont la mauvaise habitude de se retenir et de s'acculer, en se servant des jarrets, des gras de jambes, et quelquefois même des éperons suivant qu'ils se retiennent plus ou moins. Avec ces précautions on maintiendra les uns et les autres dans l'ordre et dans l'obéissance de la main et des jambes.
De peur qu'un Cheval, en allant de côté, ne tombe dans le défaut de se traverser et de pousser ou de se jeter sur un talon ou sur l'autre, malgré l'aide du Cavalier, il faut, à la fin de chaque reprise, le mener droit dans les talons d'une piste, sur la ligne du milieu de la place ; on lui apprend aussi sur la même ligne à reculer droit dans la balance des talons.
Quoique la leçon de l'épaule en dedans et celle de la croupe au mur, qui doivent être inséparables, soient excellentes pour donner à un Cheval la souplesse, le beau pli et la belle posture dans laquelle un Cheval doit aller ; pour manier avec grâce et avec légèreté, il ne faut pas pour cela, abandonner la leçon du trot sur la ligne droite et sur les cercles : ce sont les premiers principes auxquels il faut toujours revenir pour l'entretenir et le confirmer dans une action hardie et soutenue d'épaules et de hanches. Par ce moyen on divertit un Cheval et on le délasse de la sujétion dans laquelle on est obligé de le tenir lorsqu'il est dans l'attitude de l'épaule en dedans et de la croupe au mur. Voici l'ordre qu'il faut observer pour mettre à profit ces leçons.
De trois petites reprises que l'on fera chaque jour et chaque fois que l'on montera un Cheval qui sera avancé au point d'exécuter ce que nous avons dit dans ce chapitre : la première doit se faire au pas, l'épaule en dedans, et après deux changements de main qui doivent se faire d'une piste (car il ne faut point encore aller de côté) on lui met la croupe au mur aux deux mains et on le finit droit et d'une piste au pas sur la ligne du milieu du manège. La deuxième reprise doit se faire au trot hardi soutenu, et d'une piste, et on finit dans la même action sur la ligne du milieu de la place, sans lui mettre la croupe au mur. La troisième et dernière reprise, il faut le remettre l'épaule en dedans au pas, ensuite la croupe au mur, et toujours le finir droit par le milieu. En mariant ainsi ensemble ces trois leçons d'épaule en dedans, de trot, et de croupe au mur, on verra venir de jour en jour, et augmenter la souplesse et l'obéissance d'un Cheval qui sont, comme nous l'avons dit, les deux premières qualités qu'il doit avoir pour être dressé.



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Passage
Après avoir donné à un Cheval la première souplesse par le moyen du trot d'une piste, sur la ligne droite et sur les cercles, l'avoir arrondi et lui avoir appris à passer ses jambes dans la posture circulaire de l'épaule en dedans, l'avoir rendu obéissant aux talons la croupe au mur, et rassemblé au piaffer dans les piliers, lesquelles leçons renferment la souplesse et l'obéissance qui sont, comme nous l'avons dit, les deux premières qualités qu'on doit donner à un Cheval pour le dresser ; après cela, dis-je, il faut songer à l'ajuster c'est-à-dire le régler et le faire manier juste dans l'air, où sa disposition permettra qu'on le mette.
Le passage est la première allure qui regarde la justesse. Nous en avons donné la définition dans le chapitre des Allures artificielles, et nous avons dit que c'est un trot ou un pas raccourci, mesuré et cadencé; que dans ce mouvement le Cheval doit soutenir les jambes qui sont en l'air, l'une devant, l'autre derrière, croisées et opposées comme au trot, mais beaucoup plus raccourci, plus soutenu et plus écouté que le trot ordinaire, et qu'il ne doit pas avancer ni poser la jambe qui est en l'air plus d'un pied au-delà de celle qui est à terre, à chaque pas qu'il fait, cette allure qui rend un Cheval patient et lui fortifie la mémoire, est très noble, et fait beaucoup paraître un officier un jour de revue ou de parade. L'action du Cheval au passage est la même qu'au piaffer, en sorte que pour avoir une idée juste de l'un et de l'autre, ii faut regarder le piaffer comme un passage dans une place sans avancer ni reculer, et le passage est, pour ainsi dire, un piaffer dans lequel le Cheval avance environ d'un pied à chaque mouvement. Dans le piaffer, le genou de la jambe de devant qui est en l'air doit être de niveau avec le coude de la même jambe, laquelle jambe doit être pliée de manière que la pince du pied se lève à la hauteur du milieu du genou de la jambe qui pose à terre : celle de derrière ne doit pas se lever si haut, autrement le Cheval ne serait pas sur les hanches, mais seulement la pince du pied qui est en l'air à la hauteur du milieu du canon de l'autre jambe. A l'égard du passage, comme le mouvement est plus avancé que celui du piaffer, la jambe de devant ne doit pas se lever si haut, mais seulement la pince du pied qui est en l'air à la hauteur du milieu du canon de la jambe qui pose à terre, et celle de derrière un peu au-dessus du boulet de l'autre jambe.
Il y a plusieurs choses à observer dans le passage, savoir : la posture dans laquelle doit être un Cheval lorsqu'il passage, soit d'une piste, soit de deux pistes, la cadence ou la mesure dans laquelle il doit passager, et les aides du Cavalier pour l'ajuster à cet air.
Les plus habiles Écuyers conviennent qu'une des principales choses qui met un Cheval dans une belle attitude, c'est le beau pli qu'on lui donne en maniant, mais ce beau pli est expliqué différemment par les habiles Maîtres de l'Art. Les uns veulent qu'un Cheval soit simplement plié en arc, qui n'est qu'un demi-pli, dans lequel le Cheval regarde seulement d'un Ail dans la volte, les autres veulent qu'il fasse le demi-cercle, c'est-à-dire qu'il regarde presque des deux yeux en dedans de la ligne. Il faut convenir que dans l'un et l'autre pli, le Cheval a de la grâce ; mais, selon moi, le pli en arc, qui n'est qu'un demi-pli, ne contraint pas tant un Cheval, et le tient plus relevé du devant que dans celui où il est plus plié ; et dans cette dernière posture, la plupart des Chevaux sont encapuchonnés, c'est-à-dire baissent trop le nez et courbent l'encolure.
Ceux qui admettent le demi-pli mènent leurs Chevaux droits d'épaules et de hanches, ou tiennent seulement une demi-hanche, et ceux qui veulent un plus grand pli, tiennent les hanches autant en dedans que la tête, ce qui forme un demi-cercle de la tête à la queue, et c'est ce qu'on appelle les deux bouts dedans. Cette attitude fait paraître le Cheval plus sur les hanches parce qu'il est plus étréci du derrière.
On peut admettre ces différentes postures, en les appliquant diversement, suivant la différente structure de chaque Cheval. Il se trouve peu de Chevaux bien proportionnés de tout leur corps : les uns sont trop courts de reins et les autres trop longs de corsage.
Ceux qui sont bien proportionnés, c'est-à-dire ni trop courts ni trop longs de reins, doivent être menés la demi-hanche dedans. Pour cela, on tient la hanche de dehors un peu en dedans, en sorte qu'au lieu que les hanches soient tout à fait droites sur la ligne des épaules, le pied de dehors de derrière doit se poser sur la place de celui de dedans, ce qui fait que la moitié des hanches se trouve en dedans, et c'est là ce qu'on appelle proprement la demi-hanche dedans. Cette posture est très belle et convient à merveille aux Chevaux bien moulés et qui portent beau d'eux-mêmes.
On doit tenir les Chevaux courts de reins, droits d'épaules et de hanches avec un demi-pli seulement, qui les fasse regarder d'un Ail en dedans : car si on les mettait dans une posture plus raccourcie, en les pliant trop et leur tenant les hanches dedans, ils seraient trop contraints, et ils n'auraient pas un beau mouvement d'épaule, parce que la plupart des Chevaux de cette structure retiennent ordinairement leurs forces, et par conséquent il faut leur donner un passage plus libre et plus avancé qu'à ceux qui distribuent naturellement leurs forces.
Dans le passage les deux bouts dedans, la tête est placée fort en dedans, et les hanches sont mises autant en dedans que la tête, en sorte que le Cheval est arrondi de tout son corps et forme un demi-cercle. Cette attitude a été inventée pour raccourcir et faire paraître sur les hanches les Chevaux qui sont trop longs de corsages et d'encolure, et qui n'auraient pas tant de grâce, et ne pourraient pas si bien se rassembler si on les menait tout à fait d'une piste. Cette posture n'est autre chose que la croupe au mur renversée, c'est-à-dire qu'au lieu de faire aller un Cheval de côté la croupe au mur avec les épaules en dedans du manège, dans les deux bouts dedans, on met les épaules vis-à-vis du mur et la croupe vers le centre, en sorte qu'il va presque de deux pistes.
Après avoir examiné laquelle des trois postures ci-dessus convient mieux au Cheval, suivant son naturel et sa structure, il faut ensuite régler la cadence de son air. On doit entendre par la cadence du passage d'un Cheval, un mouvement de trot raccourci, soutenu du devant et continué d'une mesure égale sans le retenir ni le presser trop. Ce mouvement, qu'il est aussi difficile de donner à un Cheval que de l'y entretenir en marchant, dépend de l'accord des aides du Cavalier et aussi de la souplesse et de l'obéissance du Cheval, c'est pourquoi il ne faut point passager un Cheval dans une justesse si recherchée, qu'auparavant il ne soit assoupli de tout son corps et réglé au piaffer dans les piliers. Cette pratique est le modèle du beau passage ; et quoiqu'un Cheval soit assez avancé pour lui demander des leçons de justesse, il ne faut jamais se départir des premières leçons dans lesquelles on ne saurait trop le confirmer. Il faut donc toutes les fois qu'on monte un Cheval, quelque avancé qu'il soit, de trois reprises, lui en demander du moins une l'épaule en dedans, suivie de la croupe au mur, et quelquefois même, suivant l'occasion, le remettre au trot.
Pour entretenir un Cheval dans ce beau mouvement de passage que produit l'action de l'épaule libre, soutenue et également avancée, il faut faire attention à son naturel et à sa force. Les Chevaux, par exemple, qui retiennent leurs forces, retiennent aussi par conséquent l'action de l'épaule. Ils doivent être moins assujettis, et même lorsqu'ils se retiennent trop par malice ou autrement, il faut les chasser vigoureusement des deux jambes, et quelquefois des deux éperons, laissant pour quelque temps l'ordre limité de la justesse du passage, afin de leur rappeler et de leur maintenir la crainte et l'obéissance qu'ils doivent avoir pour les aides et pour les châtiments du Cavalier : ceux au contraire, qui par timidité naturelle, s'abandonnent sur la main, doivent être plus raccourcis, tenus plus ensemble et plus soutenus de la main, que déterminés des jambes et des jarrets ; avec ces précautions on maintiendra et les uns et les autres dans leur véritable air.
Lorsqu'on change de main au passage, il faut que ce soit de deux pistes sur une ligne oblique, et que la moitié des épaules aille avant la croupe, en sorte que la jambe de devant de dehors soit sur la ligne de celle de dedans de derrière ; et afin qu'il demeure dans l'équilibre et dans la balance entre les deux talons, il ne faut pas qu'il fasse un seul temps pour la peur de la jambe de dehors du Cavalier, que celle de dedans ne lui permette. Il faut pour cela savoir se servir à propos de sa main et de ses jambes.
Dans le passage des deux pistes, le Cheval doit faire autant de mouvements avec les pieds de derrière qu'avec ceux de devant. Il arrive souvent qu'un Cheval arrête les pieds de derrière en une place, pendant que ceux de devant dérobent le terrain, en faisant deux ou trois pas sans que le derrière accompagne : on appelle ce défaut, dévuider de l'épaule. Un autre défaut encore plus grand que celui-ci, c'est lorsqu'il arrête les pieds de devant, et que ceux de derrière continuent d'aller, ce qu'on appelle s'acculer, s'entabler. Comme la vue du Cavalier est sur la posture de la tête et du col, et sur l'action des épaules, il lui est plus aisé de proportionner les mouvements que le Cheval fait avec les pieds de devant, que de tenir la croupe et les pieds de derrière dans une juste égalité : il faut pourtant acquérir la facilité de l'un et de l'autre afin de remédier à temps et promptement à ces désordres, ce qui dépend de la diligence de la main et de la finesse du talon.
Il faut se ressouvenir encore qu'une des aides les plus subtiles, c'est de faire passer librement l'épaule et le bras de dehors du Cheval par-dessus celui de dedans, en passageant de deux pistes. Pour bien prendre ce temps, dit le savant M. de la Broue, il faut sentir quel pied pose à terre et quel pied est en l'air, et tourner la main de la bride dans le temps que le pied de devant du côté qu'il va ou qu'il tourne est en l'air et prêt à retomber, afin qu'en levant ensuite l'autre pied de devant, il soit contraint d'avancer l'épaule et le bras de dehors, en le chevalant par-dessus celui de dedans. Il faut, ajoute-t-il, une grande facilité d'aides pour bien prendre ce temps : car si on tourne la main dans le temps que le Cheval a le pied de dedans trop haut, au lieu d'élargir l'épaule et la jambe de dehors, c'est celle de dedans qui s'élargit ; et si l'on tourne la main lorsqu'il pose le pied de dedans à terre, il n'a point assez de temps pour chevaler librement l'épaule et la jambe de dehors.
Il est bon de remarquer encore avant de finir ce chapitre, que des trois postures dont nous venons de parler, dans lesquelles on peut mener un Cheval au passage, il y en a deux qui ne peuvent être admises que dans les bornes d'un manège limité, et pour le plaisir de la carrière, qui sont celles de la demi-hanche et celles des deux bouts dedans ; mais lorsqu'on tient un Cheval dans un pas noble et relevé, soit à la tête d'une troupe, soit dans des jours de revue, de fête ou de parade, il ne faut point lui demander ce manège d'École, mais le tenir droit d'épaules et de hanches avec un demi-pli seulement du côté qu'il va, pour lui donner plus de grâce dans son devant.



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